Les Highlands, là où la nature fusionne avec des ruines antiques, est la terre d’origine des Celtes de l’Écosse du nord. Crédit : Margarita Perepecho/Unsplash

Héritage en péril : Les langues européennes en danger

Découvrez l'histoire de six langues européennes en danger

by Melek Carkaci

Parmi les nombreuses familles de langues dans le monde, celle des langues indo-européennes est une des plus dominantes. Et pourtant, lorsque l’on retrace l’histoire des langues, nous pouvons découvrir des origines préhistoriques beaucoup plus communes à toutes les langues, aujourd’hui très différentes à travers une évolution de plus de 15 000 ans à la suite des colonisations, des guerres et des migrations. Mais aujourd’hui, un grand nombre de ces langues font face à un avenir critique avec un risque d’extinction.

L’UNESCO a établi cinq statuts permettant de définir le niveau de danger de ces langues : « vulnérable », « en danger », « sérieusement en danger », « en situation critique » et « éteinte ». Selon l’UNESCO, il y a aujourd’hui 2 418 langues aux quatres premiers statuts mentionnés, et 228 qui sont déjà éteintes.

Bien que nous aurions voulu parler de toutes ces langues, nous allons uniquement nous concentrer sur les langues européennes en danger dans cet article.

Les langues européennes en danger 

Le terme « en danger » est utilisé pour les langues qui ne sont plus apprises par les enfants comme langue maternelle à la maison.

Le gaélique écossais

Majoritairement parlée par les peuples des Highlands, cette langue celtique aux origines glorieuses a connu un passé très sordide.

Les Celtes du nord de l’Écosse vivaient traditionnellement en clan autonome, les rendant davantage fidèles aux anciennes mœurs et coutumes. Mais craignant une indépendance grandissante des clans, le roi James I fût à l’origine des répressions envers ce peuple, les forçant à adopter la culture et la langue anglaise du sud. Cette série de répressions fut suivie des tristement célèbres Highland Clearances et des révoltes jacobites à la fin du XVIIIe siècle, avec également le massacre lors de la Bataille de Culloden. Les Celtes du Nord ont ensuite été interdits de porter le kilt et le tartan, de jouer de la cornemuse et d’enseigner le gaélique.

Écosse

Malgré ces difficultés, le gaélique écossais a survécu. Bien qu’il ne soit parlé que par environ 50 000 personnes en Écosse, la pratique de la langue est entre autres garantie par les arts et les coutumes qui assurent la survie des symboles ancestraux connus dans le monde entier, avec également un intérêt grandissant pour les langues anciennes dans l’industrie cinématographique. Vous avez sûrement entendu parlé de la série à succès « Outlander » !

En 2005, le gaélique écossais a également été reconnu comme une des langues nationales du pays.

Le mochène

Le mochène est une langue austro-bavaroise parlée dans la province de Trente, au nord-est de l’Italie. Originaires d’Allemagne du Sud, le peuple mochène a migré dans la vallée de Fersina pour le travail minière du XIIIe au XVe siècles. 

Au pied des Alpes de Fiemme, le mochène est toujours parlé dans les communes de Fierozzo, Frassilongo et Palù del Fersina qui sont les principaux lieux d’habitation de cette minorité dont on estime leur nombre à 2 270 dans toute la province. Les marchands mochènes, appelés les « cromeri », ont joué un rôle important dans la conservation de l’allemand au sein de leur communauté, indispensable pour le commerce ambulant dans l’Empire austro-hongroise.

Italie

Malgré une localisation géographique isolée, le mochène n’a pu survivre à l’italianisation favorisée par les mariages mixtes, et ceci particulièrement après la chute du Reich, lorsque les familles ayant migré pour acquérir la nationalité allemande ont été contraintes de revenir dans la vallée, considérées alors comme des traîtres. Ces familles ont alors arrêté d’enseigner le mochène à leurs enfants pour éviter les préjugés. 

La vitalité de la langue mochène a cependant été relancée grâce au développement du tourisme et à la création de l’institut culturel Mochèno-Cimbre pour préserver et promouvoir la langue.

Les langues européennes sérieusement en danger

Le statut « sérieusement en danger » est utilisé pour les langues parlées par les grands-parents, comprises par les parents, mais plus parlées entre eux ou avec leurs enfants.

Le normand

Parlée en Normandie, le normand est une langue d’oïl, c’est-à-dire une des formes de l’ancien français employé au Moyen-Âge dans la partie nord du pays. Issu du latin, le normand est un mélange de mots vikings, en raison des colons scandinaves venus en Normandie, et de mots anglo-saxons, ajoutés à la suite de la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant. Ce dernier instaura notamment le normand comme langue officielle de la cour et du pays jusqu’au XIVe siècle.

Le déclin de la langue commença avec, d’un côté les modifications de la langue avec l’influence du moyen anglais, avec le normand se transformant en anglo-normand, puis d’un autre côté la révolution française lorsque le français fut instauré comme langue nationale au XIXe siècle. Aujourd’hui, le normand est parlé par environ 20 000 personnes sur les 3 millions d’habitants de Normandie.

Normand

Un Conseil Scientifique et Culturel des Parlers Normands a été créé en 2019 pour préserver, promouvoir et enseigner le normand, avec notamment la possibilité d’obtenir un diplôme universitaire d’études normandes, mais également l’ouverture de « cafés normands » pour inciter au dialogue, mais aussi d’une bibliothèque consacrée au parler normand.

Le kachoube

Le kachoube est une langue slave parlée par une minorité ethnique de Pologne, les Kachoubes, habitant principalement en Poméranie, au nord-est du pays. Elle est connue par presque 100 000 personnes, mais utilisée uniquement par environ 53 000 d’entre eux.

Au fil des époques et des guerres mondiales, les Kachoubes ont du faire face à la germanisation (le Kulturkampf), puis à la polonisation par le gouvernement polonais, mise en place dans le cadre de l’unification du pays lors de la période communiste d’après-guerre avec la volonté d’instaurer leur langue comme un dialecte et non une identité culturelle distincte. Ainsi, la majorité des Kachoubes devint finalement unilingue, avec le polonais comme unique langue pour un grand nombre d’entre eux.

Pologne

Aujourd’hui, le kachoube est enseigné à l’école comme seconde langue pour assurer sa préservation et le peuple a réussi à faire vivre leur folklore à travers leurs spécialités artisanales faisant partie de leur identité culturelle comme la broderie, la céramique et les sculptures en bois, très représentatifs de leurs origines baltes, avec des éléments païens distinctifs.

Héritage en péril : Les langues européennes en danger
Szczecin est une des destinations les plus populaires en Poméranie. Crédit : Shutterstock

Les langues européennes en situation critique

Le terme « en situation critique » est utilisé pour les langues dont les locuteurs les plus jeunes ne sont autres que les grands-parents. Ces langues ne sont parlées que partiellement et peu fréquemment.

Le tsakonien

Une des langues helléniques vivantes les plus anciennes de Grèce, les origines du tsakonien remontent à l’ancien sparte. La langue est parlée par environ 2 000 personnes dans la Tsokania, un groupe de villages situés à l’est de Péloponnèse. 

Le déclin de la langue est principalement dû à la migration, particulièrement celle des habitants des villages de Kastanitsa et Sitna situés en montagne, qui n’y retournent plus qu’en été. La population restante est, quant à elle, majoritairement constituée de personnes âgées, ce qui signifie que la langue n’est plus enseignée aux jeunes générations.

Grèce
Héritage en péril : Les langues européennes en danger
Le village de Kastanitsa est niché dans les pentes du Mont Parnon en Grèce, un des lieux où les Tsakoniens ont élu domicile. Crédit : Shutterstock

Le tsakonien a toujours été une langue plus parlée qu’écrite en raison de sa phonétique difficile à transcrire, d’où le manque de support et de documentation. De plus, son enseignement a été moins encouragé puisqu’il a longtemps été considéré comme une langue paysanne. Sa survie est malheureusement en grand danger.

Le cornique

Langue celtique datant de l’époque pré-romaine, le berceau du cornique se trouve à Cornouailles, au sud-ouest de l’Angleterre. Éteinte au XVIIIe siècle, il a été ravivé au XXe siècle grâce à un intérêt grandissant pour la culture celtique. Elle est à présent reconnue comme langue officielle d’une minorité.

L’histoire des Corniques est mouvementée de rébellions menées pour protéger leur indépendance. Leurs coutumes, leur langue et leur communauté sont très différentes du reste de l’Angleterre, d’où une identité très distincte et une volonté de rester ainsi.

Cornwall

Mais malgré ces efforts, la colonisation massive poussant les Celtes à migrer encore plus vers l’ouest, les obligations imposées par l’Église anglicane suivies d’un processus d’assimilation avec notamment l’anglais imposé comme seule langue, son extinction n’a pu être évitée.

De nos jours, le cornique est à nouveau enseigné à l’école primaire et des aides financières sont allouées par le gouvernement anglais pour développer des programmes d’éducation pour les générations futures.